Ils échangent des regards complices, se lancent des vannes sur scène et ont le même amour de la musique. L’un forge des beats et l’autre taille des mots. Ensemble ils sont dans une quête du sens mystique des forces supérieures qui dirigent ce monde. AllttA c’est leur terrain d’expérimentation artistique où ils explorent au maximum leur univers.
AllttA peut vous sembler un nom étrange pour un nom de groupe. C’est l’acronyme de « A Little Lower Than The Angels » qui signifie « De peu inférieur à Dieu ». Il faut comprendre dans la traduction littérale anglaise : « Un peu inférieur aux anges » . A l’origine c’est un passage du Psaume 8 de David :
Je dis : « Qu’est-ce que l’homme, pour que tu te souviennes de lui, et le fils de l’homme, pour que tu prennes soin de lui ?»
Tu l’as fait de peu inférieur à Dieu et tu l’as couronné de gloire et d’honneur.
Jason explique : « Pour moi c’est plus une approche humble de la vie. Surtout pour nous qui sommes dans le milieu de la musique, beaucoup sur scène, c’est très facile de glisser dans le sur-médiatisé. Au final, ce que l’on souhaite c’est de faire quelque-chose qui nous plait, c’est tout. » Sylvain qui en plus d’écrire la musique s’occupe de la partie graphique, raconte qu’il a tout de suite vu ce qu’il pouvait en faire visuellement avec le jeu des symétries et qui a lui donné beaucoup de sens. Ils se sont partagé les tâches. Jason a développé le fond et tout ce qui tourne autour du nom quand Sylvain s’est attaché à l’aspect visuel, à la forme.
Leur première rencontre s’est déroulée à La Roche-Sur-Yon en 2004. 20syl à l’époque était un créateur de beats avec le vent en poupe et assistait au concert de The Procussions (le groupe de Jason à l’époque). C’est le tour manager de Jason qui insista pour que les 2 se rencontrent. Le courant est passé directement et ils terminent 2 jours plus tard dans un studio et cela a donné le premier single de Hocus Pocus avec la chanson « Hip-hop » . Sacrée première rencontre !
On se repose beaucoup sur l’expérience et le savoir-faire de l’autre. Je lui fais une confiance aveugle sur l’écriture, le flow et lui de la même manière sur la composition.
Les 2 compères d’AllttA viennent de 2 villes séparées par l’Atlantique. Jason travaille les textes depuis Los Angeles. Sylvain crée sa musique chez lui à Nantes. Les maquettes et samples font des allers retours entre les 2 cités. Jason a la charge du fond quand Sylvain s’occupe de la forme. Lorsqu’ils entament une création, c’est tout un processus bien huilé. 20syl explique : « On bosse beaucoup chacun de notre côté, ça nous permet vraiment d’aller au bout de nos idées individuelles et c’est ce qui est important dans ce projet.«
Pour eux c’était bien plus que de faire juste une collaboration entre The Procussions et Hocus Pocus. Leur but était de faire des choses nouvelles en utilisant les rythmiques et tempos actuels tout en gardant leurs pattes.
Quand Mr. J. écrit des couplets, Mr. 20syl compose la musique. Jason explique : « Quand j’écris du rap, il faut ça ait le sens que je veux. Sur certaines tracks, j’essaie vraiment de faire ressortir ma propre philosophie et d’essayer de sortir des mots le plus de sens possible« . D’abord J. reçoit un « rough » de 20syl, comprenez un morceau brut, un brouillon, quelques-fois juste un beat. Jason travaille de son côté à Los Angeles et écrit les paroles.
Sylvain détaille : « Parfois, je lui envoyais un son et il me disait qu’il avait tel ou tel texte qui pourrait coller. Il enregistrait une maquette sur le son. Puis je me rendais compte que son texte allait peut-être mieux sur un son que je ne lui avais pas envoyé, qui était dans des patterns différentes, et on est beaucoup dans ce procédé d’allers-retours, cette petite cuisine qui fait qu’on se surprend souvent l’un l’autre. » Après plusieurs échanges de « rough », ils entrent en studio à Nantes et enregistrent. Une fois la voix enregistrée c’est de nouveau à 20syl de jouer et il revoit complètement le morceau musicalement et c’est à ce moment que la track finale prend forme.
« Paradise Lost », j’ai dû l’enregistrer dans ma voiture, juste à côté de mon fils. Il faisait 33 degrés la nuit. J’avais mon micro et mon ordinateur sur les genoux.
Leur premier album, « The Upper Hand » a quasiment été enregistré à Nantes chez 20syl dans les studios d’On&On Records. Mr. J. raconte en souriant : « Je n’ai pas de studio d’enregistrement chez moi à L.A.. J’ai des amis qui en ont mais pas moi. Un jour pour « Paradise Lost », j’ai dû l’enregistrer dans ma voiture, juste à côté de mon fils. Il faisait 33 degrés la nuit. J’avais mon micro et mon ordinateur sur les genoux. Et à L.A. c’est impossible d’avoir du silence, il y a toujours des sirènes de pompiers ou du bruit. J’ai dû rouler jusqu’à un parc dans un quartier paumé, c’était 1h00 du matin et je suais à grosses gouttes dans ma voiture pendant que les gens sortaient leurs chiens. J’étais super nerveux, il fallait que je le fasse. Et je l’ai fait ! La prochaine fois que vous écouterez « Paradise Lost », vous m’imaginerez recroquevillé dans ma voiture !«
Quand je les ai rencontrés en février 2017, au début de leur tournée de « The Upper Hand » ils avaient déjà suffisamment de matériel pour un autre album. Folie ! 20syl m’expliquait qu’il avait été vraiment surpris par le panel et la capacité vocale de Jason à faire énormément de choses dans des tessitures différentes. Il est capable de prendre des tonalités très surprenantes de la part d’un rappeur traditionnel et ajoute en souriant qu’il voulait en profiter au maximum.
L’idée c’était de faire un projet qui nous plaise, et que chacun puisse s’épanouir dans sa propre discipline.
Jason a vécu du côté de Los Angeles les différents âges du hip-hop aux USA. Il explique qu’entre The Procussions (son premier groupe) et AllttA, il y a eu toute une génération de rappeurs qui est passée. On est passé du boom-bap, au retour du rap des années 90, beaucoup plus jazzy, pour arriver à une époque où tout est composé en triolets et double temps et par conséquent le flow a beaucoup évolué. Il continue : « C’est un énorme cadeau des nouvelles générations pour tous les amoureux de rap. Personnellement je l’ai pris comme un challenge, parce que j’aime faire ce que je fais.«
Leur dernier projet, Facing Giants, est une série de single. Et c’est une volonté pour eux de ne pas refaire un album même s’ils auraient pu. Ils changent la forme en sortant un titre tous les mardis. Pour eux chaque chanson est unique et finement ciselée. Jason précise : « Quand tu fais un album, tu décides quels sont les titres les plus importants et tu remplis ton album. Et plus tard tu réalises que même si tu as passé autant de temps sur chaque chanson, la majorité sont considérés comme des bouche-trous pour finir l’album. Et c’est un réflexe qu’on a après des années et des années d’artistes pop qui font 2 hits et remplissent le reste de leur album avec du vent. » Ça a le mérite d’être clair.
On réfléchit de façon plus globale maintenant. Non pas juste vis à vis du public, mais à quoi les lumières vont ressembler, quels types de visuels vont être projetés…
Ici chaque track représente une figure qui vient compléter la série de 9. Le tout est inspiré d’une des figures nommée Muggsy Bogues (voir le clip plus haut). C’était le nom du plus petit joueur de l’histoire de la NBA. Tout de suite Facing Giants prend tout son sens. Toute l’imagerie est également reprise de la métaphore de The Upper Hand, qui représente ce qu’il y a en chacun de nous : cette volonté de conquérir d’une façon ou d’un autre cette chose plus grande que nous. Et d’ailleurs dans tous les clips des différentes figures, on retrouve cette main massive qui plane au-dessus des 2 compagnons de scène représentant l’obsession présente chez chacun de nous.
Etant composé en partie durant leur tournée, Sylvain et Jason admettent qu’ils ont été influencés dans leur façon de concevoir leurs titres qui sont peut-être plus tournées vers le live que « The Upper Hand ». Jason affirme même que c’est un projet conçu pour le live. C’est toute la différence que AllttA veut inspirer. Cette liberté créative qui les possède tous les deux les poussent toujours à se renouveler sans se trahir. Sylvain prend un exemple : « Si tu fais de la musique à 90 BPM et que tu veux que tes sons soient joués dans les DJ sets où tout est à 140 BPM, ça ne marche pas ».
J’essaie d’avoir une grande variété de textures et tempos tout en gardant un son et on se challenge comme ça« .
Il continue en détaillant, un peu blasé, qu’il y a des gens qui attendent qu’ils fassent exactement ce qu’ils ont déjà fait. Ce n’est pas ce qu’ils essaient de faire avec AllttA. Peut-être qu’il y a aura un jour une autre sortie de The Procussions ou Hocus Pocus, mais AllttA est AllttA. Quand je leur évoque la différence de rythme entre être tournée et en studio, Sylvain répond du tacotac : « J’aime bien être en tournée mais pas trop longtemps. J’aime beaucoup être en studio pour créer. Mais à partir du moment où tous les soirs on fait du par cœur et on joue la même chose, ce n’est plus suffisant créatif pour moi« .
20syl n’aime pas faire du sur-place, quitte à continuer à faire du live, il préfère inventer un nouveau show plutôt que de rejouer le même pendant des mois et des mois. Pour Jason le plus important c’est d’être sur scène, non pas être en tournée. La nuance être est fine mais importante. Pour lui c’est de partager des émotions avec le public qui lui importe en priorité.
On ne se donne pas de limite artistique dans ce projet. Dans Facing Giants, il y a un titre electro-house old school, on ne se pose pas plus de questions si ça nous plait.
Quand on lui parle de C2C, de Hocus Pocus, même s’il n’y pas de sortie depuis des années, 20syl affirme que les projets vivent toujours et qu’ils ne se perdent pas de vue. « On échange en permanence, on s’aide mutuellement sur nos différents projets« . Leur dernier concert remonte à l’été dernier et 20syl raconte qu’ils prennent toujours autant du plaisir à se regrouper pour jouer du C2C à l’ancienne. « J’essaie d’assouvir mes envies et d’aller au bout de ce que j’ai en tête. Cette détermination et cette obstination fait que j’arrive à force de travail à obtenir des choses intéressantes à mes yeux. C’est énormément de temps et de vie sociale sacrifiée ». Il continue les yeux amusés, « Mais je suis encore frustré de pas faire suffisamment de choses, d’essayer de nouvelles disciplines ».
Jason enchaîne sur ce sujet : « On a beaucoup trop d’idées dans la tête. On essaie de gérer notre temps du mieux, mais c’est compliqué de ne pas s’éparpiller » rigolent-ils. Peut-être qu’ils sortiront une autre série de singles. Eux-mêmes ne savent pas. « L’avantage d’avoir son propre label ce qu’on fait ce qu’on veut ! » conclut Jason en souriant.
Si AllttA devait se résumer en 1 idée elle serait incarnée par la liberté artistique que Sylvain et Jason possèdent qui rend le projet AllttA si singulier.
(re)Découvrez leur dernier projet Facing Giants sur toutes les plateformes.